Expériences de migration en contexte de violence ou quand raconter devient impossible. Approche comparée France-Québec pour un dialogue entre migrants, praticiens et chercheurs
17-18 octobre 2019 Maison des Sciences de l’Homme et de la Société Université de Poitiers
Co-organisation : Laboratoire Mimmoc, Institut d’études acadiennes et québécoises (IEAQ), Programme Mortsen contexte migratoire (MECMI-FRQSC-ANR), École du Travail social de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)
Partenaires : Institut des Amériques, Faculté Lettres et Langues de l’Université de Poitiers, Axe 4 de la Maisondes Sciences de l’Homme et de la Société (MSHS), Association Française d’Études Canadiennes (AFEC). En partenariat avec la Chaire de recherche sur le Canada, Migrinter, Forellis, la Fe2c, le Toit du Monde, le Centre socio-culturel des 3 Cités, la Maison des 3 Quartiers de Poitiers.
Comité scientifique : Ariane Le Moing (Université de Poitiers, France), Lilyane Rachédi (UQAM, Canada), Michèle Vatz Laaroussi (Université de Sherbrooke, Canada), Perrine Obensawin (Sauvegarde de l’enfance, Val d’Oise, France), Paul Konan N’Dri (Haute école de travail social et de santé, Suisse).
L’expérience de la migration peut être vécue, perçue, théorisée et documentée de façons diverses comme l’attestent les nombreux travaux multidisciplinaires menés sur les parcours migratoires et les récits d’exilés (Laplantine et al., 1998; Lahlou, 2002; Gohard-Radenkovitch et Rachédi, 2010; Pesquet, 2015; Molinié, 2016).
Cette journée d’étude internationale entend comprendre « les » paroles de celles et ceux qui font l’expérience de cette migration, et en particulier la question du récit impossible.
On pense tout d’abord à la parole des principaux acteurs de la migration que sont les personnes migrantes et pour lesquelles raconter peut se heurter à des obstacles linguistiques, lorsque la langue du pays d’accueil n’est pas ou peu maîtrisée (Borges et Cancian, 2016), socio-politiques (expérience de la parole « brimée » dans le pays d’origine, dans les pays traversés et en échos à la conjoncture des discours dicibles et indicibles), structurels (barrières administratives et institutionnelles) (Ertler et al., 2011) ou psychologiques (quand raconter fait revivre des événements traumatisants de vie, de guerre et de fuite ou peut mener, à l’inverse, à une perte de mémoire) (Cyrulnik, 2010; Meintel, 2001; Despelchin, 2015).
Mais la parole de ceux qui vivent indirectement la migration, comme les intervenants sociaux et autres praticiens qui s’inscrivent dans la chaîne des services et des soins offerts aux personnes immigrantes, peuvent également être confrontés à certaines difficultés et enjeux éthiques.
En France par exemple, le travailleur social qui est l’intermédiaire entre les personnes immigrantes et les institutions en charge des questions d’immigration et d’asile se retrouve au cœur d’un processus complexe et est amené à jouer un double rôle : pousser les nouveaux arrivants à respecter le cadre juridique (Rousseau et Foxen, 2006) mais aussi faire respecter par les institutions la spécificité culturelle des étrangers (Gilles Verbunt, 2009). Il peut aussi risquer de dénoncer les violences imposées par les politiques en place à l’égard de ces migrants (Rousseau et al., 2002). Raconter ce décalage, relativiser sa culture de travail et exposer les limites du cadre d’intégration nationale, avouer s’opposer aux orientations officielles peut s’avérer complexe et lourd de conséquences pour le professionnel.
La réception des expériences migratoires à travers le récit de vie, nécessaire pour aider les réfugiés à entreprendre des démarches de demande d’asile, peut-elle également mener à des difficultés d’ordre éthique et déontologique chez l’intervenant social : quelles validité et légitimité accorder à la parole immigrante (Fassin, 2013), d’autant plus lorsque celle-ci a été traduite et interprétée ? Comment aussi protéger celles et ceux qui ont osé parler ? quelle place l’intervenant peut-il alors investir au regard des politiques en place? Au Québec, mais aussi ailleurs, plusieurs expériences ont été développées dans différents contextes (psychosocial, médical, artistique et culturel, etc.) pour soutenir ces récits (Guilbert, 2001 ; Smyth et al., 2001, Vatz-Laaroussi, 2016) et leur portée engagée pour dénoncer les inégalités et injustices sociales (Jacob, 1996).
Du côté des chercheurs, les épistémologies qui offrent des grilles de lecture, d’interprétation et d’analyse des expériences de migration en contexte de violence demeurent encore ethnocentriques (Molinié, 2016). Qui sont donc ces chercheurs qui travaillent sur ces thématiques en lien avec les expériences migratoires ? Quelles places accordent-il à l’Autre (le migrant et le praticien) dans la démarche même de recherche (Poupart et al., 1996 ; Vatz-Laaroussi, 2002 ;2007,2015) ? Quelles sont ses stratégies méthodologiques pour nommer l’innommable et rendre audible le discours des acteurs (Anadon, 1997; Bertaux, 1980, 1985, 2016).
Cette journée d’étude entend ainsi explorer, dans une perspective comparative France-Québec, la diversité des récits impossibles dans divers champs d’études et de pratiques (intervenants sociaux, formateurs, juristes, psychologues, traducteurs-interprètes), dans le contexte de l’expérience migratoire. Elle a pour ambition de décloisonner les expertises et faire dialoguer les différents acteurs pour mieux comprendre et analyser les expériences de migration en contexte de violence.
Les propositions de communication pourraient s’inscrire dans les axes suivants : -le récit indicible, ou comment raconter ce qui ne peut être raconté -le récit revisité ou la pluralité des supports pour raconter (créations artistiques, documentaires, films, expositions, cartographies du récit, etc.) -le récit face aux institutions et aux politiques
CONSIGNES AUX AUTEURS
Les propositions de communications, en français ou en anglais, devront parvenir au comité scientifique du colloque sous format numérique au plus tard le 20 mai 2019 à Amelia León Correal à l’adresse suivante : amelleon@msn.com
Elles devront comporter les rubriques suivantes :
- Titre de la communication
- Thématique dans laquelle s’inscrit la communication (récit indicible ; récit revisité ; récit face aux institutions et aux politiques)
- Nom et prénom de l’auteur
- Courriel
- Une brève biographie de 3 lignes comprenant la fonction et le rattachement institutionnel
- Un résumé de la proposition : maximum de 500 mots, espaces compris, simple interligne, Times 12. Le résumé doit présenter brièvement la problématique, le sujet présenté et le lien explicite avec la thématique retenue.
- 3-4 mots clés.
La réponse du comité aux propositions soumises sera transmise aux auteurs au plus tard le 10 juin 2019, et le programme final sera diffusé fin juin.
CALL FOR PAPERS FOR THE INTERNATIONAL STUDY DAY:
Migration experiences in contexts of violence: when narrating becomes impossible. A France-Quebec comparative approach for a dialogue between migrants, professionals and researchers
October 17-18, 2019
Maison des Sciences de l’Homme et de la Société
Université de Poitiers
Migration can be experienced, perceived, theorized and documented in various ways as revealed by the numerous multidisciplinary works led on migratory paths and exile writings (Laplantine et al., 1998; Lahlou, 2002; Gohard-Radenkovitch&Rachédi, 2010; Pesquet, 2015; Molinié, 2016).
This international research study day is meant to hear the voices of the ones who experience this migration, and particularly to understand the issue of the impossible narration.
One may first think of the voices of migrants themselves, for whom the very fact of telling their life-stories can meet linguistic obstacles -when they do not completely master the language of the receiving country, or even when they not master it at all (Borges&Cancian, 2016). This narration can also face social and political obstacles (when the voice is “stifled” or when narrations become impossible in the country of origin or in the countries that have been crossed during the migration process), structural obstacles (administrative and institutional barriers) or psychological ones (when the very fact of narrating revive traumatizing events of life, of war and escape, or can lead, on the contrary, to a loss a memory) (Cyrulnik, 2010; Meintel, 2001; Despelchin, 2015).
But the voices of those who indirectly experience migration, such as social workers and other professionals who are involved in services and treatments offered to immigrants, can also be confronted to certain difficulties and ethical difficulties. In France, for example, social workers who are the intermediaries between newcomers and the institutions in charge of immigration and asylum issues, may find themselves at the heart of a complex and paradoxical process, that is to say inciting immigrants to respect the national integration model (Rousseau et Foxen, 2006) but also defending the cultural specificities of foreigners (Gilles Verbunt, 2009). Social workers might also denounce violence imposed by the national policies that are set toward the migrants (Rousseau et al., 2002). Highlighting this discordance, exposing the limits of the national integration model and/or admitting one’s opposition to official orientations can become complex and may entail significant implications for social work practitioners.
Can the reception of migratory experiences through life story, which is a necessary procedure when refugees ask for asylum, also lead to ethical difficulties for the social worker? Which validity and legitimacy can be granted to the immigrant’s voice (Fassin, 2013), especially when his/her narrative has been translated and interpreted? How to protect those who have dared to speak? What role can the social work practitioner play in regard to the current integration policies? In Quebec, as well as in other places, several experiments have been developed in different professional contexts (psychosocial, medical, artistic and cultural contexts, etc.) in order to support these narratives and their impacts (Guilbert, 2001 ; Smyth et al., 2001, Vatz-Laaroussi, 2016) to denounce inequalities and social injustices (Jacob, 1996).
As for the researchers, the different types of epistemological studies regarding migration experiences in contexts of violence still remain ethnocentric (Molinié, 2016). Who are the researchers working on these themes related to migratory experiences? Which place are they granting to ‘otherness’ (Poupart et al., 1996; Vatz-Laaroussi, 2002 ;2007,2015)? What are the methodological strategies helping to name what remains unspeakable and make the voices heard again (Anadon, 1997; Bertaux, 1980, 1985, 2016)?
This international research study day is meant to explore, in a France-Quebec comparative perspective, the diversity of the impossible narratives in various fields of study and practices (social professionals, trainers, legal experts, psychologists, translators and interpreters), in the context of migratory experiences. This event aims at removing the expertise barriers and wishes to launch a multi-disciplinary dialogue to reach a better understanding of migration in violent contexts.
Communication proposals may correspond to the following approaches: -The impossible narrative, or how to narrate what cannot be narrated -The revisited narrative or the plurality of means to narrate (through artistic creations, documentaries, films, exhibitions, cartography of the narratives, etc.) -The narrative regarding institutions and official policies
GUIDELINES FOR THE AUTHORS
Communication proposals, in French or in English, must be sent to the scientific committee in digital form on May 20, 2019 at the latest to Amelia León Correal to the following address: amelleon@msn.com
They will include the following elements:
- Title of the communication
- Topic of the communication (the inexpressible narrative; the revisited narrative; the narrative regarding institutions and policies)
- The author’s name and surname
- E-mail address
- A three-line short biography indicating the current position and institutional affiliation
- A summary of the communication: 500 words maximum, spaces included, single spacing, Times 12. The summary will briefly present the issue, the subject and the explicit relation with the chosen theme.
- 3 or 4 keywords.
The committee’s response to the proposals will be transmitted to the authors at the latest on June 10, 2019, and the final programme will be released at the end of June.
Références bibliographiques/Bibliographic references :
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BERTAUX, D. (1986). « Fonctions diverses des récits de vie dans le processus de recherche. » Dans D. Desmarais et P. Grell (dir.), Les récits de vie. Montréal : Éditions Saint-Martin.
BERTAUX, D. (2016). (4e éd.). Le récit de vie. Paris, Armand Colin.
BORGES, M. & C. CANCIAN (2016). « Reconsidering the Migrant Letter : from the experience of migrants to the language of migrants », The History of the Family, vol.21, n°3, p.281-290.
CYRULNIK, B. (2010). Mourir de dire : la honte. Paris, O. Jacob. 272p.
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ERTLER, K-D., M. LÖSCHNIGG & Y. VÖLKL (2011). Cultural constructions of migration in Canada. Frankfurt am Main, New York, Peter Lang, [BLSH JV 7220 C85 2011]. FASSIN, D. (2013). « The Precarious Truth of Asylum », Public Culture, vol.25, n°1, p.39-63. [en ligne : publicculture.dukejournals.org/content/25/1_69/39.full.pdf+html].
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