1973-2023. Agir / Non agir / Réagir
Du temps des héritages au temps de l’action ?

Colloque international 26, 27 et 28 juin 2023 Université de Poitiers

Organisé par le laboratoire FoReLLIS (Formes et Représentations en linguistique et littérature, image et scène) et l’IEAQ (Institut d’Etudes Acadiennes et Québécoises) de l’Université de Poitiers.

En partenariat avec l’Université Sainte-Anne (Pointe-de-l’église), le laboratoire MIMMOC (Poitiers), la chaire Senghor de la francophonie nord-américaine (Poitiers), le projet, le Laboratoire Plurielles de l’Université de Bordeaux Montaigne, le réseau FrancophoNéA et le laboratoire EHIC de Limoges.

Comité d’organisation : Stéphane Bikialo, Ariane Le Moing, André Magord, Julien Rault

Comité scientifique : Chloé Conant-Ouaked (Université de Limoges), Pénélope Cormier (Université de Moncton, campus d’Edmunston), Emir Delic (Université Sainte-Anne), Hélène Destrempes (Université de Moncton), Maurizzio Gatti (Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec), Jean-Michel Gouvard (Université de Bordeaux Montaigne), Anne-Cécile Guilbard (Université de Poitiers), Lucie Hotte (Université d’Ottawa), Anne-Yvonne Julien (Université de Poitiers), Magali Nachtergael (Université Bordeaux Montaigne), Mathilde Rimaud (Université de Poitiers et réseau Axiales), Jimmy Thibault (Université Sainte-Anne)

Quels mouvements d’une histoire en acte peut-on mesurer au contact des littératures québécoises et acadiennes contemporaines ?

1973-2023 – Cinq décennies essentielles pour l’élaboration d’un statut reconnu des francophones canadiens : acquis de la Loi 101 au Québec (1976), promulgation de l’article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés en 1993 (Nouveau- Brunswick), qui garantit l’égalité des communautés linguistiques française et anglaise, instauration du Conseil scolaire acadien en 1996, reconnaissance du Québec comme « nation » (2007). Cinquante ans qui donnent pourtant parfois le sentiment, sur le terrain social et politique de coïncider avec un temps de latence, d’une sorte de figement annihilant toute possibilité d’un réel changement de société.

  • Les luttes féministes peuvent désormais se prévaloir de nombreux textes officiels (lois, chartes) mais les violences de toutes sortes (discriminatoires, sexistes ou sexuelles) restent omniprésentes.
  • Les revendications autochtones sont davantage portées, entendues et médiatisées mais le déficit de droits réels et l’absence de prise en compte d’un racisme systémique et d’une discrimination structurelle bloquent toujours le processus de réconciliation.
  • Les discours généraux invoquent une prise de conscience des enjeux écologiques sans que les dispositifs mis en place soient à la mesure de l’état d’urgence climatique.
  • Les inégalités sociales se creusent chaque jour un peu plus en dépit d’une société en apparence toujours plus consommatrice.

Sans doute les sociétés québécoise ou acadienne ont-elles connu des périodes de grandes revendications dans les années 1960-1970 : défense de la langue originelle, dénonciation de l’aliénation linguistique et de la dépossession culturelle, refus du conservatisme moral, priorité accordé à l’engagement politique, et il est vrai que cette effervescence d’idées s’est dite à travers une littérature novatrice de l’essai, du manifeste et de la poésie dans le sillage de la Revue Parti pris fondée en 1963 (autour de Gaston Miron, Jacques Brault, Paul Chamberland) ou de La Barre du jour (1965) (Nicole Brossard) et qu’on a pu également parler, pour reprendre les mots de Joel Belliveau, du « Moment 68 » et de la « réinvention de l’Acadie »,1 en écho aux luttes qui se déroulaient dans l’Hexagone. Le roman a rompu avec le réalisme social et trouvé de nouveaux codes pour transcrire un désir collectif de rupture (Marie-Claire Blais, Hubert Aquin, Réjean Ducharme…). Le théâtre a connu un moment de libération avec la création en août 1968 des Belles-Sœurs de Michel Tremblay, au théâtre du Rideau vert à Québec, réussissant à donner voix à des sujets femmes du milieu populaire montréalais. D’autres marginalités trouveront d’ailleurs expression dans l’œuvre ample (romanesque comme théâtrale) et internationalement traduite de Tremblay. Si l’on revient sur les décennies 1970-2020, il faut aussi évoquer le rayonnement de plus en plus affirmé des « écritures migrantes » (Simon Harel2), tout en notant que si la notion de « migrance » elle-même a été forgée par Émile Ollivier, l’usage du qualificatif a pu faire débat au niveau critique, tant le corpus de ces écritures est divers, tant les parcours sont pluriels et singuliers.

Et pourtant, tout se passe un peu comme si sur le terrain des revendications sociales, féministes, écologiques, autochtones, une sorte de suspens temporel s’était dessiné. Les luttes ont-elles été fécondes ? a-t-on envie de dire en reprenant le titre d’un essai de Catherine Dorion, ex-députée (Québec solidaire) et autrice québécoise3. Comment vivre le présent ou se projeter dans un avenir meilleur alors qu’il s’agit encore de donner de la visibilité aux souffrances passées et présentes ? Que faire de l’héritage des luttes ? S’agit-il d’abord de la question de la réconciliation ou faut-il vivre des choses nouvelles pour pouvoir énoncer l’accès à une liberté inédite ? Le passé récent (celui des luttes et de la visibilité) des minorités est-il émancipateur ?

Nous proposons ainsi d’explorer la relation entre le temps long de l’appropriation des revendications, qui passe en effet par la prise en compte de l’héritage, de la filiation (de la survivance du passé) 4, et le temps bref de l’urgence et de la volonté, et même du refus de se satisfaire du monde comme il est ou comme il va. Pour certains, il n’est plus possible d’accepter l’attente, la latence et de renoncer à changer très vite de façons de vivre (pour des raisons climatiques mais aussi sociales), de modes de relations entre les êtres humains (pour une égalité réelle entre femmes et hommes, une vraie reconnaissance des populations autochtones et la cessation des violences mises en œuvre par les différente formes de pouvoir). Comment éviter la temporisation parfois synonyme de stagnation ? Dans quelle mesure l’écrivain est-il impliqué5 ? Comment la littérature peut-elle s’interroger, interroger le monde (par le terrain, la non fiction), voire inventer (par la fiction, la poésie, la performance théâtrale ) de quoi permettre une avancée collective vers l’avenir, aussi profonde qu’urgente ?

L’objectif du colloque sera de décrire et d’analyser ce que la littérature québécoise, acadienne, et plus généralement d’expression française au Canada (franco-ontarienne et franco-manitobaine, par exemple), fait de ces enjeux sociaux et politiques fondamentaux en 2023. Comment ce rapport au passé et ce moment où ce sentiment de latence sont-ils mis en œuvre dans la littérature et modelés par ses potentialités propres ? L’œuvre littéraire a cette particularité en effet de permettre une concentration, une condensation des époques (passé, présent, futur) et des points de vue, lesquels, pour les enjeux sociaux et politiques qui nous intéressent, sont aussi une manière de penser la dimension systémique des discriminations sociales, patriarcales et des négligences climatiques, au-delà des événements et des scandales ponctuels.

Les communications pourront ainsi s’attacher :

. dans les fictions ou textes autobiographiques :

  • Aux fonctions des personnages, à leur regard sur ces enjeux, le passé, le présent et l’avenir, aux relations intergénérationnelles, à la place des corps, des noms, des langages. On pense ainsi à La Belle ordure (2010) de Simone Chaput où l’énergie de la lutte (en faveur de l’écologie) est portée par les plus jeunes et refusé par le père qui choisit une posture de retrait. D’un côté l’urgence climatique, de l’autre le retour à une vie lente. Questionnement qui traverse également Ce qui se passe dehors de Catherine Dorion (Hurtubise, 2018) ou encore les derniers ouvrages de Martine Delvaux (Le Monde est à toi, Héliotrope, 2017 ; Pompières et pyromanes, 2021) …
  • À la structuration narrative et temporelle mise en place : structuration, par exemple, faite de montages alternés entre les époques dans des œuvres comme Taqawan d’Eric Plamondon (Quartanier, 2017) ou Que serions- nous sans le secours de ce qui n’existe pas ? (Léméac, 2020) de Simone Chaput. La littérature autochtone révèle sans doute un rapport au temps qui reste pour l’essentiel insaisissable. Dans quelle mesure le passé dure-t-il encore ? Quelles continuités peuvent se tisser entre ces a-temporalités ? En quoi les revendications autochtones sont-elles traversées par ces liens détemporalisés qui relient à la Terre ? Interrogations fondamentales qui sont notamment au cœur des livres de l’auteur autochtone Michel Jean, dans le genre de la reconstruction familiale fictionnelle Atuk et Kukum (Libre expression, 2019 et 2020); du roman graphique Payer la Terre (traduction) de Jo Sacco, auteur, dessinateur, reporter, qui porte un regard externe mais aigu sur l’histoire récente d’un groupe de population Dene ; ou encore de Ce qu’il reste de moi (Boréal, 2015) de Monique Proulx, attentive à ce tissage entre des temporalités et des destinées autochtones et canadiennes…
  • Aux rapports entre fiction et non-fiction : à la fiction comme mise en place d’un nouveau souffle, comme recomposition des places sociales, comme pouvant montrer qu’» un autre monde est possible » face au « There Is No Alternative » capitaliste. À la non-fiction comme signe d’un renouveau de la « littérature de terrain » 6, d’une nouvelle injonction faite à la littérature de ne pas se détourner d’enjeux politiques, sociaux, écologiques fondamentaux et qui nécessitent une réaction urgente pour éviter (ou limiter, ou retarder) le désastre. Nombreuses sont les œuvres qui interrogent ces enjeux de société et questionnent les différentes manières temporelles de « faire mouvement » dans les revendications sociales et politiques.

. dans les textes poétiques

Aux mondes possibles, aux gestes de découverte ou de dépliement d’un paysage que les poètes contemporains mettent en images en jouant le plus souvent de matériaux artistiques mêlés. On pense à Herménégilde Chiasson qui n’a cessé depuis son premier recueil Mourir à Scoudouc (Moncton, éd. d’Acadie, 1974) d’opter, à travers la conjugaison du langage poétique et des arts visuels, pour une circulation des idées, des lectures et des discours, à France Daigle, poète, romancière, autrice de théâtre et au réinvestissement inventif d’une culture du quotidien, à Maude Pilon, qui dit volontiers son admiration pour les poètes exploréens, Claude Gauvreau et Denis Vanier, oscillant elle-même entre poésie et essai, s’interrogeant sur les savoirs des peuples des premières nations (Quelque chose continue d’être planté là, Le Lézard amoureux, 2017), multipliant les expériences collaboratives…

Nous souhaiterions nous concentrer sur la littérature très contemporaine (avec d’éventuels parcours relevant d’une diachronie brève, surtout centrée sur la période 1970-2023)

  • être ouvert à l’analyse des discours (politique, médiatique, publicitaire…) et plus généralement aux apports des chercheurs et chercheuses civilisationnistes (anthropologie, sciences humaines et sociales)
  • Accorder une place de choix (plusieurs sessions) aux enjeux et aux corpus intermédiaux (romans graphiques, bande-dessinée, performances, littérature et autres arts : musique, photo, cinéma, dessin…)7.
  • Réserver une place importance à la création contemporaine (en particulier la littérature autochtone récente) dans l’idée de faire dialogue entre recherche et création, ce qui se traduira par des invitations d’auteurs et d’autrices, des projections de films, des soirées de lectures, performances ou concerts.

Le Colloque se tiendra les 26,27 et 28 juin 2023 dans le cadre des 40 ans de l’Institut d’études acadiennes et québécoises (IEAQ), 40e anniversaire, 1982-2022. Il fera suite au colloque du congrès annuel de l’AFEC 22-24 juin 2023 (Quel avenir en partage pour les peuples acadien, québécois et autochtones ?).

Les propositions de communication (200 à 300 mots) accompagnées d’une courte notice bibliographique sont attendues avant le 30 novembre 2022 (des réponses pourront être données avant cette date butoir avant de permettre aux collègues d’organiser leur déplacement). Elles sont à adresser à stephane.bikialo@univ-poitiers.fr et julien.rault@univ-poitiers.fr. Après réunion du comité de sélection des projets, une réponse sera adressée au plus tard le 15 janvier 2023 aux collègues qui auront répondu à cet appel.


1 Joel Belliveau, Le « Moment 68 » et la réinvention de l’Acadie, Presses de l’Université d’Ottawa, 2014.
2 Simon Harel, Les Passages obligés de l’écriture migrante, coll. « Théorie et Littérature », Montréal, XYZ, 2004.
3 Catherine Dorion, Les Luttes fécondes, Atelier 10, 2017.
4 Voir le chapitre 5 « Venir après : filiation et héritage » de l’ouvrage La Construction du contemporain (dir. Robert Dion et Andrée Mercier), Presses de l’Université de Montréal, 2019.
5 Sur cette notion, voir Narrations d’un nouveau siècle, Romans et récits français (2001-2010), Bruno Blanckeman et Barbara Havercroft (dir.), Presses Sorbonne Nouvelle, coll.Fiction/Non fiction XXI, Paris, 2013.
6 Revue Fixxion n° 18, 2019 : http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise- contemporaine.org/rcffc/article/view/fx18.20/1339
7 En accord avec l’axe « Médialités, intermédialités, transmédialités » du laboratoire FoReLLis.

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